Les enfants déplacés renouent avec l’école
Douala reçoit les déplacés de la crise anglophone des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis maintenant deux ans. Parmi eux, beaucoup d’enfants qui intègrent les écoles de la ville, en quête d’une vie normale retrouvée.
Nicole Ngo Baiha, directrice des affaires générales (Minedub Douala) précise que dans le seul arrondissement de Douala, les écoles publiques accueillent plus de 10 500 enfants déplacés. Mais ils sont en fait bien plus explique-t-elle. « Les écoles publiques signalent automatiquement l’arrivée de ces élèves, mais pas les écoles privées. Nous devons donc procéder à des descentes sur le terrain afin d’affiner les statistiques ».
Ces enfants viennent donc grossir les classes et les enseignants doivent donc s’adapter à ces nouveaux venus. Pour ce faire, ils ont suivi une formation afin d’acquérir des compétences pour recevoir et gérer ces élèves qui ont subi de réels traumatismes et en subissent encore pour ceux dont les parents sont restés dans ces deux régions anglophones.
Martin Tcho Tange fait partie de ces enseignants qui ont accueilli dans leur classe ces nombreux enfants . Depuis cinq ans, il officie à l’école publique Geps Youpwé de Douala qui compte 573 élèves dont 119 déplacés. Martin Tcho Tange fait partie de ces enseignants qui ont bénéficié des formations spécifiques pour l’encadrement de ces enfants ayant subi des traumatismes divers. Il explique que cette formation lui a appris « comment prendre soins de ces enfants déplacés. Cela m’a permis de résoudre des problèmes »
Il compte dans sa classe de 112 élèves, dont quelque 28 enfants déplacés. Et certains d’entre eux sont réellement choqués. Il cite notamment l’un d’entre eux, qui était toujours seul, isolé, éteint. « Je lui demandais ce qu’il avait. Au début, il ne voulait rien me dire. Mais j’ai doucement insisté et il a fini par me dire qu’il ne savait pas où était sa mère ».
Pour aider ces enfants, l’enseignant doit aller au-delà de son rôle primaire. Comme le dit Martin, il doit être attentionné, attentif, et même amical avec eux. « Je les vois tous les jours. Je leur demande de quoi ils ont besoin ce jour, j’en ai fait des amis jour après jour ».
Mais qu’a changé l’arrivée de ces enfants déplacés pour lui ?
« D’abord, ça a changé au niveau des effectifs puisque le nombre d’élèves est plus important, ce qui complique forcément l’enseignement. Les élèves qui viennent de ces régions n’ont pas assez de matériels. Ils n’ont pas de moyens et ne peuvent pas acheter les cahiers d’exercices, ni même les stylos. Je suis donc obligé de les aider, puisque je me sens responsable. Donc, de temps en temps, je leur achète des stylos et des cahiers avec mon argent personnel. Ce sont comme mes frères et sœurs. Si c’était un de mes enfants qui était dans cette situation, j’apprécierai que quelqu’un les aident, donc je le fais. C’est normal ».
Mais la venue de ces enfants a également changé les liens entre les élèves eux-mêmes. Ainsi, Martin explique que dans le cadre des cours, « nous devons constamment les éduquer sur la nécessité de la fraternité et de l’amour ».
Ils jouent d’ailleurs des scènes de théâtre sur cette fraternité et tous les enfants de la classe y participent à la fin du sketch, avec force d’accolades et d’éclats de rire qui symbolisent parfaitement cette fraternité.
De plus, il faut leur porter une attention particulière afin de les aider à rattraper leur retard. La plupart a en effet été contraint d’arrêter l’école un long moment avant de quitter le Sud-Ouest et le Nord-Ouest. Et si aujourd’hui, ils essaient de renouer avec une vie normale, le chemin reste long. Tant en termes d’apprentissage scolaire que d’acclimatation à leur nouvelle vie. Il est encore fréquent qu’au bruit trop fort d’un pot d’échappement ou d’un voiture qui roule sur un trou, ces jeunes enfants de 9 ou 10 ans sursautent violemment et se mettent à trembler, ces sons les ramenant instantanément à l’ambiance de guerre dans laquelle ils ont dû vivre…
Liliane
Quand l’éclat de son regard s’éteint
Cette jolie petite fille de 10 ans est vive et souriante, même si comme nombre d’enfants de son âge, elle montre une certaine timidité quand il s’agit de répondre à quelques questions. Elle est arrivée à Douala en 2017, il y a plus d’un an, avec sa mère. Dans son village d’origine de la région du Sud-Ouest, elle a dû, comme nombre de ses camarades, abandonner l’école. Cette coupure aura duré près d’une année scolaire. Sa scolarisation à Douala est salvatrice pour elle. Martin, son enseignant, est d’ailleurs assez fier de pouvoir dire qu’en à peine plus d’un trimestre, elle a rattrapé une bonne partie de son retard. Elle nous raconte « j’étudie l’anglais, mais également le français, ce qui est important ».
Lilian sourit et s’ouvre. Puis elle s’adonne à la séance photos comme à un jeu, prenant la pose avec un peu d’espièglerie dans le regard. Un regard d’enfant qui va vite s’assombrir.
Lorsqu’elle doit évoquer ses parents, elle se fait plus tendue. Son père est resté au village et elle n’a malheureusement plus de nouvelles. Elle explique qu’elle lui a parlé. Il y a longtemps. Très longtemps. « À Noël », nous dit-elle, son regard s’obstinant désormais à fixer le sol, avant de se lever vers nous à nouveau. « Pas ce Noël, celui d’avant » réussit-elle difficilement à articuler. Sa voix tremble, chevrote, ses épaules s’affaissent doucement, inexorablement. Et cette jolie lumière qui habitait son regard s’éteint en quelques secondes, remplacée par un voile sombre, empreint de la douleur si particulière de ceux qui ne savent pas ce qu’il est advenu des êtres aimés.
Chris
Une famille retrouvée
Ce garçon de 10 ans, grand et plutôt fier au premier abord, répond aisément aux questions sur sa scolarité retrouvée à Douala. Sa voix est un peu plus audible que celle de ses camarades déplacés, mais reste tout de même discrète.
Il explique qu’à son arrivée, il ne connaissait personne. Mais puisqu’il devait rester ici, il a commencé à se faire des amis. Et ce jeune anglophone a mis toutes les chances de son côté pour ne pas être isolé. « Je parle français. J’ai des amis qui parlent anglais et des amis qui parlent français » explique-t-il. Il doit également rattraper son retard, explique Martin, son enseignant, et pour cela, il a besoin de temps, « Pour lui l’adaptation est un peu plus lente. », explique-t-il.
Ce jeune orphelin de père, depuis 2014, vivait au village quand sa mère était déjà installée à Douala. Au début de la crise, il est resté, tout le monde pensant que ces événements ne seraient que passagers. Mais, la situation étant ce qu’elle est, il a rejoint sa mère et son beau-père en 2018. Il vit désormais en famille avec également ses cinq sœurs et ses deux frères, renouant peu à peu avec sa vie d’enfant.
Marie-Claire
Un bonheur presque retrouvé
Marie-Claire, inévitablement timide, comme ses comparses, se souvient très bien de son arrivée à Douala. Et elle est précise ! « Je suis arrivée un mardi, en février 2018 ».
Elle vivait dans la région du Sud-Ouest, non loin de Kumba.
Pendant longtemps, elle est restée terrée chez elle sans pouvoir aller à l’école, mais elle pensait que la situation se calmerait rapidement elle aussi. Il n’en a rien été. À ses débuts dans cette école, elle était très timide et avait une certaine appréhension à s’intégrer. Mais le temps aidant, elle a réussi à se faire des amis, elle aussi, et « je suis heureuse d’être à nouveau à l’école » confie-t-elle.
Elle reprend doucement goût à une vie presque normale en famille avec sa mère, son frère et sa sœur, mais sans son père qui est resté au village. Il est toutefois venu les voir il y a peu et pour un long moment, ce qui a ravi la fillette. Pour le moment, il semble sain et sauf.
Kum
Un père disparu
Ce jeune garçon, un peu plus fermé que les autres, a rejoint Douala avant les fêtes de fin d’année de 2017. Lui aussi a renoué avec l’école qu’il avait dû abandonner à cause de la crise. Nombre d’écoles ont en effet été fermées.
Ici, il a pu reprendre sa scolarité et se faire de nouveaux amis. Mais ce timide enfant n’a pas la chance de vivre avec sa mère et son père. C’est une de ses tantes qui prend soin de lui. Ces deux parents sont restés au village. Pourtant, depuis son départ, il n’a jamais réussi à leur parler. Sa grand-mère lui répète souvent qu’elle a réussi à leur parler rapidement, mais qu’il n’était pas là. Il explique, d’une voix à peine audible « Quand je lui demande à les appeler, elle me répond qu’elle n’a plus de crédit téléphonique ». Son regard, plein d’interrogation, oscille entre le sol et nous. Que lui répondre ? Martin, l’enseignant, qui entend ces détails pour la première fois, entend bien contacter la grand-mère et se renseigner pour savoir si le petit Kum est en fait orphelin, sans que personne n’ait osé lui dire la vérité.